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.Non, je n’ai jamais fait ça.Ce n’est pas possible.Je l’explique à mon interprète.Il prend l’air catastrophé.Les autres autour de lui (toute la famille du malade est dans la bergerie, des bougies à la main) regardent, muets.« Sahib, me dit l’interprète, il faut que tu le soignes.— Mais je te dis que je ne peux pas, je ne suis pas chirurgien.Je n’ai pas ce qu’il faut.» Il insiste :« Soigne-le… Tu dois le soigner.» Il se penche vers moi, parlant à voix basse comme si les autres pouvaient le comprendre.« Si tu ne le soignes pas, ils vont te tuer.» Je blêmis.D’accord, je veux en finir, mais comme ça, saigné dans le noir, dans un trou plein de fumier, non ! Ma mort, je veux qu’elle soit celle que j’ai choisie : en plein soleil, dans la neige, avec les cimes de l’Himalaya devant moi et une dernière orgie formidable de drogue.J’insiste :« Dis-leur, toi qui es allé en ville, qui sais mieux.Dis-leur qu’ils sont fous, qu’il y a des limites à ce qu’un homme peut faire.»Son regard se fait mauvais.Il serre les dents.Il grince.« Étranger, soigne-le, je te dis.» Bon, j’ai compris.Je n’ai pas le choix, il faut que j’y passe.En cas de malheur, celui-là au fond, avec son long couteau recourbé dans la ceinture, sera le premier à me frapper.J’étale donc devant moi ma trousse à pharmacie.Et je commence, toujours pour les mettre en confiance, à me faire mon shoot.Cette fois, il est vital.J’en ai sacrément besoin pour être le plus possible lucide.Je commence par la traditionnelle piqûre de pénicilline.Puis je donne au malade un paquet de somnifère.Au fur et à mesure, j’explique à mon interprète ce que je fais, et il traduit.Les autres hochent la tête à chaque phrase.Le type est bientôt K.O., presque endormi.Je demande quand même que trois villageois viennent le tenir.Aussi violente soit la dose de somnifère, elle ne remplacera pas la véritable anesthésie dont il aurait besoin.L’interprète traduit mes phrases : ce que j’ai donné, c’est pour qu’il souffre moins, mais il va quand même crier, très fort, et bouger.Alors, il faut le tenir.On a compris, on maintient mon bonhomme, la tête sur le côté gauche, calée entre deux pierres.J’affûte mon couteau le mieux possible, je le passe à la flamme, puis à l’alcool.Je coupe les cheveux autour de l’oreille, je nettoie à l’alcool, j’inonde de mercurochrome.Tout est prêt pour l’incision.Je fais signe qu’on le tienne bien.Si j’étais croyant, je ferais bien un signe de croix.Je me contente de penser : pourvu que ça marche !…Et j’attaque l’abcès.Pas par-dedans, j’ai trop peur que tout coule dans l’oreille même.Je tranche, d’un bon coup sec, à vif dans l’abcès derrière l’oreille.Le type se réveille en hurlant.Il se débat tellement que les trois acolytes qui le maintiennent ne suffisent pas.Deux autres costauds doivent venir.Le malheureux est trempé de sueur, il est agité de tremblements.Je donne un deuxième coup de couteau, en croix par rapport au premier.Hurlement.Le pus jaillit, verdâtre, épais, plein de filaments.L’odeur est épouvantable.Je presse autour de l’abcès, le pus gicle toujours.La poche doit être énorme et aller très profond dans la tête, sous le crâne.Le pus n’en finit pas de couler.J’en sors un bon verre.Et ça coule toujours.Sans aucun doute, il y a un réseau de poches annexes, branchées sur la principale.Il faut les crever elles aussi.Seulement, le type tiendra-t-il le coup ? Ne va-t-il pas avoir une syncope et claquer là ? Ah ! si je disposais d’un tonicardiaque !Mais je n’ai pas le choix.Quinze paires d’yeux me guettent, attentives, hostiles.Le type est jeune, il doit avoir le cœur solide.C’est une chance.Je prends donc une allumette, je l’entoure de coton à une extrémité, je l’enfonce dans la poche et je tourne, je creuse, je fouille.Je sens les membranes des poches annexes qui craquent, une à une.Et ça dégorge, sans cesse.Le type ne bouge plus.Il halète très vite.Il est agité de tremblements sporadiques.Pourvu qu’il tienne !Pourvu que je tienne moi aussi ! Je transpire, la tête me tourne, j’ai des éblouissements.Surtout que ça ne va pas.Je me rends compte qu’il y a encore une grosse poche que je ne peux pas atteindre, très profond, du côté de l’oreille interne.Et ça, c’est grave.Parce que j’ai tout de même assez de connaissances en anatomie pour le savoir : c’est là que se trouve le labyrinthe, avec les organes de l’équilibration [ Pobierz całość w formacie PDF ]