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.C’est donc à cheval entre septembre 1929 et avril 1930 que naît le commissaire Jules-Amédée-François Maigret.Pas de façon spontanée, mais grâce aux quelque dix-huit personnages qui l’ont précédé comme autant d’esquisses.Un processus de lente maturation que le commissaire lui-même n’aurait pas désavoué et dont le périple nordique de Georges Simenon aura été le catalyseur.En Hollande, ce périple n’en est qu’à ses débuts.Mais Simenon emmagasine déjà les images qu’il régurgitera dans ses romans.Il ne se lasse ni des canaux, ni de la mer aux couleurs et aux odeurs sans cesse renouvelées.Pourtant, les conditions ne sont pas toujours faciles.« L’Elbe s’élargit, l’eau devient houleuse, une rive disparaît, puis l’autre, écrit-il.Et c’est la mer du Nord, triste, rageuse, semée de bancs perfides17 » L’Ostrogoth lui donne parfois l’impression d’être « un joujou » sur les vagues déchaînées.Il n’en poursuit pas moins sa route et son rêve, les deux intimement liés…Dans les vapeurs de genièvreVoici comment Simenon, en 1966, raconte la naissance de Maigret à Delfzijl dans un texte écrit pour le tome 1 de ses œuvres complètes établies par Gilbert Sigaux, aux éditions Rencontre :« L’Ostrogoth avait besoin d’un recalfatage complet, de sorte que je dus conduire le bateau en cale sèche au bord du vieux canal.« J’avais gardé […] l’habitude d’écrire deux ou trois chapitres par jour.Je me rendis vite compte que c’était impossible dans une coque rendue sonore comme une cloche par les calfats qui la frappaient à grands coups de masse du matin au soir […].« Le hasard me fit découvrir, à moitié échouée, au bord du canal, une vieille barge qui semblait n’appartenir à personne.On y pataugeait dans trente à quarante centimètres de cette eau rougeâtre particulière au vieux canal […].Cette barge, où j’installai une grande caisse pour ma machine à écrire […], allait devenir le vrai berceau de Maigret […].« Je me revois, par un matin ensoleillé, dans un café qui s’appelait, je crois, Le Pavillon […j.Ai-je bu un, deux, ou même trois de ces petits genièvres colorés de quelques gouttes de bitter ? Toujours est-il qu’après une heure, un peu somnolent, je commençais à voir se dessiner la masse puissante d’un monsieur qui, me sembla-t-il, ferait un commissaire acceptable […].« Le lendemain à midi, le premier chapitre de Pietr-le-Letton était écrit.Quatre à cinq jours plus tard, le roman était terminé.»La diligence de la mer de Norvège« C’est le plus charmant voyage du monde18 » Derrière la provocation, Georges Simenon ne ment pas.Il revient d’un périple qui l’a mené au-delà du cercle polaire en mars et au début d’avril 1930.Hitler n’est pas encore au pouvoir en Allemagne, personne n’ose imaginer un deuxième conflit mondial, on ne connaît ni la télévision, ni les ordinateurs, ni Internet.L’avion ne s’aventure guère dans ces contrées glacées.Le Latham où a pris place l’explorateur Roald Amundsen parti à la recherche de son ami italien Umberto Nobile s’est écrasé près de Tromsô en 1928.Deuil national en Norvège.Mais rien n’arrête la curiosité de Simenon en pleine gestation du personnage qui le rendra célèbre : Maigret…Quoi ? Les îles Lofoten, le cap Nord, la Laponie et cette ville minière de Kirkenes, aux confins de la Russie, alors que l’hiver s’achève à peine et que la température ne s’élève pas au-dessus des –15° C ? De la folie ! Un consul et quelques bons amis l’avaient d’ailleurs dissuadé de partir.C’est oublier combien Simenon aime la mer, les marins, la navigation, la découverte… Ses lointaines origines bretonnes et, surtout, le besoin de faire ce qu’il appelle ses « apprentissages », comme on fait ses gammes, sont là pour le pousser toujours plus loin, irrésistiblement.Et puis, avant lui, la Norvège a excité l’imaginaire de trois grands romanciers français du XIXe siècle : Victor Hugo avec Han d’Islande en 1823, Honoré de Balzac avec Séraphita en 1835 et Jules Verne avec Un billet de loterie en 1864.Des trois, seul Jules Verne a vraiment voyagé dans le pays.Mais il s’est arrêté au sud, dans le Telemark19.Simenon, lui, ira jusqu’au Finmark, tout au nord.En cet hiver rugueux, il a abandonné son cotre, l’Ostrogoth, trop fragile avec ses dix mètres de long et ses quatre mètres de large pour affronter la mer de Norvège.À Bergen, il monte avec sa femme dans un de ces « petits vapeurs » qui, écrit-il, « chaque jour que Dieu fait » mettent huit jours pour monter jusqu’à Kirkenes.« Une sorte de bateau omnibus ou, si vous préférez, la diligence de la mer de Norvège.» Un « excellent vapeur aux cabines confortables » qui, faute de routes et de lignes de chemin de fer, assure le passage du courrier, des vivres, des marchandises et des voyageurs.Quelque chose a-t-il changé depuis ? Pas vraiment.L’express côtier est toujours là et bien là , tel que l’a décrit Simenon : « Une vraie chaîne dont les anneaux se rencontrent, se saluent d’un coup de sirène.» Aujourd’hui, onze navires font la route Bergen-Kirkenes, en six jours et cinq nuits aller-retour.Ils s’arrêtent dans trente-quatre ports, 365 jours par an.Sans compter les bacs et ferries qui, eux ne desservent que quelques hameaux.Certes, en soixante-dix ans, le réseau routier s’est amélioré, et les bimoteurs Dash-8 de la compagnie aérienne Wideroe n’ont pas leur pareil pour atterrir sur les courtes pistes des bourgades du Finnmark.En été, on rencontre sûrement moins de Norvégiens sur les express côtiers envahis de touristes que dans ces avions à hélices : ce pasteur luthérien, par exemple, à peine troublé par le cap Nord vu du ciel, ou cette longue jeune fille aux couettes blondes, qui, depuis son départ, ne lâche pas la canne à pêche avec laquelle elle essayera d’attraper des capelans au large de Vadsô…Mais que serait la vie des villages du nord de la Norvège sans l’express côtier qui pallie si souvent les défaillances des autres moyens de transport ? Sur les plus vieux bâtiments de la flotte, on se réunit encore, comme l’écrivait Simenon, « autour du capitaine qui a l’air d’un patriarche ».En ce matin de juin, le Harald Jarl, construit en 1960, vient de quitter Hönningsväg pour Hammerfest.Il sent bon son « vapeur » d’autrefois.Le capitaine barbu absorbe au moins trois œufs à la coque au petit déjeuner et rejoint ensuite quelques passagers dans le salon aux boiseries encaustiquées.Deux femmes tricotent : elles ont la beauté de l’âge mûr sous leurs cheveux gris et, la tête inclinée, regardent le capitaine par-dessus leurs lunettes en demi-lune… Douce croisière.Hiver comme été, l’express côtier continue donc de rythmer la vie des autochtones.« Ce n’est pas étonnant, notait déjà Simenon, le gouvernement paie le déficit des compagnies ! » C’est toujours vrai.Mais voilà : nous sommes ici à la limite extrême des terres norvégiennes, dans un paysage minéral troué de 176 000 lacs, le long de la côte déchiquetée.Les distances immenses et l’interminable nuit polaire obligent l’État à multiplier les subventions pour fixer la population.À peine soixante-seize mille habitants vivent au Finnmark, soit 2 pour cent à de la population norvégienne
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