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.On a passé le Cooper River Bridge, un pont qui marque la frontière entre le peuple et le gratin.Quelques kilomètres plus loin, nous pénétrions dans North Charleston.Myers est un quartier défavorisé, avec des maisons délabrées, des barres d’immeubles, des magasins où l’on vend de l’alcool et des boutiques de prêteurs sur gages.C’est l’un des plus pauvres des États-Unis.Peu de jeunes y terminent leurs études secondaires et ils sont encore moins nombreux à aller à la fac.La criminalité y est importante.Ceux qui ont la chance de trouver du travail sont ouvriers ou journaliers.À tous les coins de rue, chômeurs et sans-abri se shootent et picolent pour oublier la tristesse de leur existence.Bref, Myers n’est pas un quartier où l’on va pour le plaisir.Hi s’est penché et a actionné le verrouillage des portes.— La prochaine à droite, a annoncé Shelton.Ensuite à gauche.La boutique s’appelle Bates, Prêteur et Brocanteur.— On est sûr à cent pour cent qu’on peut laisser la voiture en toute sécurité ? a interrogé Hi d’une voix un peu plus aiguë que d’habitude.Qui sait si elle sera encore là à notre retour ?— Je vais me garer devant.Ben semblait tendu, lui aussi.— On va juste entrer et sortir, ai-je dit.Tout ira bien.— Si elle le dit ! a marmonné Hi en s’extirpant de son siège.La boutique de Bates était la dernière d’une galerie commerciale miteuse composée d’une laverie automatique, d’une onglerie, d’une salle de billard et d’une église baptiste.Une enseigne annonçait son négoce en lettres criardes.Derrière les vitrines, protégées par des barreaux, s’entassait un bric-à-brac d’objets poussiéreux.Des caméras neuf millimètres.Une batterie.Une collection tristounette de montres en or.Et des armes à feu.Plein d’armes à feu.Ben a tenté de pousser la porte en acier.Rien.— Appuie sur la sonnette, a suggéré Shelton.On a attendu en regardant d’un air dégagé la caméra de sécurité installée dans une cage métallique.Un buzz a retenti, la serrure a été déverrouillée et nous sommes entrés.À l’intérieur, des ampoules nues pendaient au plafond, éclairant à peine les étagères vitrées qui recouvraient les murs de béton.Même pour une boutique de prêteur sur gages, l’endroit était sinistre.Un comptoir en bois courait le long du mur du fond.Assis derrière, un Noir gigantesque était en train de compter une liasse de billets.Il devait bien peser cent cinquante kilos.Trapu, presque chauve, il était vêtu d’un pantalon noir délavé, d’un polo et de grosses baskets rouge et blanc.Un cigare éteint pendait au coin de ses lèvres.Le tabouret sur lequel était posé son énorme postérieur semblait sur le point de rendre l’âme.— ’cherchez quelque chose ? a-t-il lancé sans lever les yeux.— On regarde, merci.Si on lui annonçait la couleur, il ferait tout de suite monter le prix.— Ouais.Les pipes à eau sont là-bas, dans le coin.Génial.Il nous prenait pour des consommateurs de cannabis.— On se disperse, ai-je chuchoté.Si vous repérez la collection, grattez-vous la tête.On est partis chacun dans une direction différente, ce qui a attiré l’attention de l’homme.— Vous risquez pas à m’entourlouper, a-t-il averti.Il a tambouriné sur sa poitrine avec son index.— Je suis ici chez moi, Lonnie Bates.— C’est pas notre intention, monsieur, a couiné Shelton.— Vaut mieux.N’oubliez pas que vous ne pouvez sortir que si je vous ouvre la porte.Il s’est remis à compter.Du coin de l’œil, j’ai perçu un mouvement à ma droite.Hi était en train de se frotter le crâne à deux mains.Pas vraiment subtil.On s’est tous rapprochés.Hi a pointé le doigt vers une caisse posée sur une étagère fixée au mur.Elle contenait un bric-à-brac.Des papiers poussiéreux.Un bandeau noir et des bijoux de pacotille.Deux tricornes.Des imitations de pistolets à silex.Un pavillon noir « made in China ».— De la camelote, a soufflé Ben.Ça ne vaut rien.Bates est descendu de son tabouret et s’est dirigé vers nous d’un pas lourd.— Je vois que vous avez repéré mes belles pièces anciennes.Des objets inestimables.Shelton a reniflé d’un air méprisant.— C’est le genre de trucs qu’on achète chez le marchand de déguisements du coin.Et en meilleur état, encore.— Faux, a répliqué Bates en extrayant la caisse de l’étagère.Un peu de quincaillerie a été ajoutée, mais il y a plein de documents historiques dans cette caisse.Des trucs personnels de Barbe Noire.Et aussi d’Anne Bonny.Ses mains épaisses sont allées farfouiller dans le foutoir et en ont retiré une liasse de papiers.Mon cœur n’a lait qu’un bond.Lonnie Bates avait raison.Les documents étaient très anciens, ou alors ils étaient parfaitement imités.Et, dans la première hypothèse, ils avaient effectivement de la valeur.— Il faudrait les faire authentifier, ai-je dit.Bates a serré les documents sur sa poitrine.— Désolé, mais il faut payer pour ça.Pas question de vous laisser risquer d’endommager des trésors historiques.Ben voyons !J’avais besoin de vérifier que le symbole était bien là.Et pour cela il fallait batailler avec cet escroc répugnant.Une idée m’a traversé l’esprit.Absurde.Dangereuse.Irresponsable.Ça a déjà marché.Ça vaut le coup d’essayer.Je m’étais promis de ne pas le faire, mais, à situation désespérée, mesures désespérées.Je me suis lancée :— Est-ce que je pourrais utiliser vos toilettes ?— Tu prends ma boutique pour un Spa ? Va voir à la laverie.— Toute seule ? S’il vous plaît, soyez gentil.— Incroyable ! s’est-il exclamé en levant les yeux au ciel, puis il a pointé l’index : derrière le rideau de perles.— Merci.— Ne touche à rien.Il y a des caméras là aussi.J’ai écarquillé les yeux.— Pas dans les chiottes, évidemment ! Mais tu gardes tes mains dans tes poches, compris ?Une fois derrière le rideau, j’ai tendu l’oreille pour vérifier qu’il ne m’avait pas suivie.Aucun risque.Il continuait à bavasser sur la valeur inestimable de sa collection.Je me suis enfermée dans les toilettes.Prête ? Pas tout à fait.J’ai remué mes membres.Pris plusieurs inspirations.Fermé les yeux.Puis je me suis concentrée.SNAP.La flambée s’est déclenchée sans difficulté, comme si le loup guettait juste sous la surface.Sans difficulté, mais pas sans douleur.Mes bras et mes jambes se sont mis à trembler quand le feu m’a parcourue.Des lumières violentes dansaient derrière mes globes oculaires.Je me suis retenue de gémir.En silence, je me suis laisse porter par cette vague d’énergie primitive.J’ai subi la transformation.Mon regard a pris une acuité fantastique.Mon corps brûlait d’une force viscérale.Mes oreilles vibraient comme un diapason.Prête à foncer.Mettant mes lunettes noires, j’ai tiré la chasse et j’ai rejoint les autres.L’allure décontractée, mais le cœur battant à tout rompre.Bates était toujours en train de baratiner les garçons, qui semblaient dépassés.Quand Shelton a vu mes lunettes, il a froncé les sourcils.Puis il a ouvert des yeux immenses.Il a donné un coup de coude à Hi, qui a donné un coup de coude à Ben.Ils avaient compris.— Il y a trop de lumière ici, ai-je expliqué.Bates m’a regardée d’un drôle d’air [ Pobierz całość w formacie PDF ]