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.»J’eus recours à la vue pour en savoir davantage.Au cours de nos excursions, j’avais découvert que la vue et mon don de médium étaient étroitement liés.C’était la vue qui me permettait de repérer des esprits indécelables pour le hob.Invoquer et voir étaient les deux faces d’une même médaille, comme parler et écouter.Je n’étais pas plus douée pour contrôler l’une que l’autre, mais enfin je progressais.Une femme portant des vêtements d’homme sortit du couvert des arbres.Elle avait des traits affirmés, mais pas jolis.Ses cheveux sombres étaient tressés à la diable.Contrairement à ce à quoi je m’étais attendue, je n’avais pas l’impression de me trouver devant un miroir.Ça ne faisait pas non plus le même effet que voir le corps de Caulem dirigé par le changeur.C’était une étrangère.Si je n’avais pas su qu’il s’agissait d’une loakal, je n’aurais pas remarqué qu’elle me ressemblait.« Que vois-tu ? » demandai-je à Caëfann.Il haussa les épaules sans cesser de sourire malgré la défiance qui luisait dans ses yeux.« Rien.Mais je l’entends parler.— Quitte cette vallée, dis-je à la femme.— Il t’a conduite à moi », ronronna-t-elle.Je ne ronronne jamais, moi, du moins pas en public.Je sentis l’indignation me gagner tandis qu’elle ajoutait : « C’est vraiment gentil de sa part.Il ne t’a jamais expliqué ce qu’il advient des humains qui croisent leur loakal, j’imagine ? »Quelques jours plus tôt, je l’aurais crue.J’aurais cru que l’avoir aperçue suffisait à me condamner à mort.Mais j’avais confiance en Caëfann.Il ne m’aurait pas emmenée là si je n’avais eu que la mort à attendre de cette rencontre.« Les histoires, je les connais, concédai-je.Mais tu ne peux pas me faire de mal, car je suis médium.» Son expression m’apprit que j’avais raison et qu’elle n’appréciait pas que je l’aie dit tout haut.Moi, j’étais soulagée.J’avais espéré que, comme face à un fantôme, ma magie me protégerait.« Je ne crois pas à ton pouvoir, donc tu es impuissante.» J’étudiai son visage pour m’en assurer.« Nous ne croyons plus en toi », continuai-je en souriant.Elle n’était pas plus coriace que les nouglins.« Si quelqu’un te rencontre un soir et t’adresse la parole, à peine sera-t-il rentré chez lui qu’il l’attribuera à un excès d’imagination.Ta race a disparu depuis trop longtemps.Tu vas devoir trouver d’autres proies.»Elle éclata de rire.Mauvais signe.Elle s’approcha de moi et me prit les mains.Je distinguais sur son avant-bras la cicatrice pâle léguée par l’estorve.Ma nuque se hérissa de chair de poule.Nos regards se croisèrent.Elle sourit et regarda son bras à son tour, m’incitant à baisser les yeux de nouveau.Sa peau se dessécha, se craquela, se nécrosa.Paralysée, je n’arrivais pas à rompre le sortilège.La cicatrice se rouvrait, et l’espace d’un instant je crus que cette blessure était la mienne.La douleur me transperça, ainsi que l’horreur.La plaie était affreuse, et la souffrance la rendait plus réelle.Quand je penchai la tête sur mon propre bras, je ne fus pas surprise d’y découvrir le même phénomène.Du pus jaunâtre suintait comme des larmes et tombait en gouttes.L’odeur caractéristique de la chair putréfiée emplissait l’air.Je sentis les mains du hob sur mes épaules mais restai incapable de me libérer.« Arrache-t’en », grogna-t-il.Il avait peur lui aussi.Merveilleux.Très réconfortant.« Arrache-toi à son emprise.»Merci du conseil, songeai-je.Mais il avait raison.Repensant à la façon dont j’avais repoussé le fantôme dans le parc, j’essayai de me concentrer sur Daryn.La loakal eut un petit rire et glissa la langue dans mon oreille en une parodie du geste qu’avait eu mon époux.Sa salive me cuisait la peau et je n’entendais plus rien.La passion ne marchait pas.Il fallait que je trouve autre chose.Caëfann s’était collé à mon dos et me serrait contre lui.Je sentais son cœur battre à coups redoublés, comme des sabots de cheval.J’eus une vision que je saisis à bras-le-corps, sans bien savoir si elle allait m’aider.Les sabots de Canard martelaient le sol nimbé d’or par le soleil couchant.Je montais à cru, et les rênes longues.Je me rappelais nettement cette journée.C’était plusieurs semaines après notre retour de Montfort.Le souvenir se modifia pour s’adapter à la vision, ce qui renforça la puissance des deux.Je riais au vent qui jouait avec mes cheveux et défaisait ma tresse.Libre, j’étais libre.Je n’avais plus à cacher ma vraie nature.Je n’avais plus à me rabaisser.Libre.Je jubilais d’être forte et libre.Le prix à payer avait été exorbitant, mais il était payé.Plus personne pour me faire ployer sous le joug invisible de l’épouse, de la femme.Plus personne pour prendre mes mises en garde à la légère parce que j’étais une femme et que les femmes sont toujours un peu hystériques.Plus besoin de me cacher derrière l’image de celle que j’aurais dû être.Je poussai un cri de guerre et secouai mes cheveux dans le vent, dont les doigts frais me débarrassèrent de mon identité passée.La faible femme qui se planquait dans sa cave avait disparu à jamais.Celle que j’étais à présent n’avait plus rien de commun avec elle.J’ouvris grand les bras, comme des ailes, et Canard descendait la montagne au galop.Lentement je revins à moi-même.Je regardai la loakal en murmurant : « Va-t’en.»Ses yeux marron virèrent au verdâtre.Son visage se transforma, joues plus rondes, lèvres moins fines, mâchoires plus étroites.Elle montra des dents.Elle devint moins qu’humaine.Soudain, elle n’était plus là .« Pas trop tôt », grogna Caëfann.Je me laissai tomber dans l’herbe froide et couverte de gouttelettes par la petite cascade.Mon bras me faisait mal, comme s’il était ouvert jusqu’à l’os, mais il n’avait pas une égratignure.La cicatrice de l’estorve n’avait pas changé, et mon poignet ne portait aucune ecchymose.Je me cachai le visage dans les mains et respirai profondément jusqu’à me sentir de nouveau moi-même.Le hob regardait Aren se reconstruire, couche après couche.D’abord elle se débarrassa de la peur, puis de la tension.Elle s’y prit si bien qu’il n’en percevait presque plus l’odeur.Elle se dominait admirablement… Il se demandait si elle avait appris à le faire ou si c’était inné.« Pourquoi des sentiments intenses la font-ils lâcher prise, tout comme ils ont fait lâcher prise au fantôme du parc ? » Sa voix était calme.« Comment fais-tu pour contrôler les esprits ? » Il lui répondait par une question, non parce qu’il ne connaissait pas la réponse à la sienne, mais parce qu’elle comprendrait mieux si elle trouvait toute seule.Elle eut du mal à mettre des mots sur ce qui s’était passé.Une limite de sa langue, se dit-il.Il aurait aimé savoir si les mages de sang disposaient d’une langue capable de décrire leurs actes.« Je prends en moi un fragment de leur esprit.Si je le sépare du reste de la créature, ils ne peuvent rien contre moi.J’ai appris ça avec le nouglin.»Il acquiesça.« C’est comme savoir leur vrai nom.Tu disposes d’une partie d’eux-mêmes, ce qui les empêche de te résister
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