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.Mais cette sensation d’en avoir gros sur la patate (et ici patate désigne à la fois le cœur, l’estomac, les sentiments, un peu tout ce qui se loge en nous), cette sensation provenait bien moins de la pêche que de l’impression que tout allait mal, mal, mal et de mal en pis.Les trois enfants étaient convaincus que le comte Olaf rôdait alentour, tel le prédateur attendant son heure pour bondir.En conséquence, tous les matins, quand MacFool réveillait le dortoir à grands coups de casseroles, les enfants vérifiaient longuement qu’il ne s’était pas changé en comte Olaf au cours de la nuit.Après tout, le comte pouvait fort bien s’affubler d’une perruque et d’un masque pour venir les extirper de leur couchette, c’était tout à fait son style.Mais le contremaître avait toujours les mêmes yeux de poisson bouilli, rien à voir avec les petits yeux luisants du comte.Et, sous son masque, il avait la voix rauque, rien à voir avec celle du comte, doucereuse et féroce.Ensuite, en traversant la cour pour gagner le hangar aux machines, les enfants surveillaient leurs collègues.Après tout, le comte pouvait fort bien se déguiser en ouvrier et se jeter sur eux quand les autres auraient le dos tourné – ça aussi, c’était tout à fait son style.Mais malgré leurs mines rechignées, las qu’ils étaient, et découragés, aucun des ouvriers n’avait l’air sournois ni cruel ni cupide.D’ailleurs, aucun n’avait les manières repoussantes du comte.Après quoi, tout en s’éreintant (ce qui signifie se briser les reins, même quand on en a seulement l’impression), les trois enfants lorgnaient les machines d’un œil soupçonneux.Et si le comte Olaf se servait d’un de ces monstres pour tenter quelque coup de force ? Mais, là encore, il ne se passait rien.Au bout de trois jours d’écorçage intensif, les limes furent remisées dans un coin et la pinceuse géante dans un autre.À ce stade, les ouvriers déplaçaient eux-mêmes les troncs écorcés pour les offrir aux dents de la scie qui les débitait en planches plates.Les enfants ne tardèrent pas à avoir les bras moulus et les mains criblées d’échardes à force de manier ces troncs.Mais le comte Olaf n’en profita pas pour les capturer comme trois oisillons sans défense.Quand le tas de planches menaça de s’écrouler, MacFool envoya Phil aux commandes de la ficeleuse.L’engin enserrait de ficelle un lot de planches et les ouvriers achevaient le travail en faisant des nœuds très savants.Les enfants eurent bientôt si mal aux doigts, à force de serrer les nœuds, qu’ils avaient peine à tenir les bons de réduction distribués chaque soir.Mais le comte Olaf n’en profita pas pour leur sauter dessus.Les jours s’égrenaient, détestables, mais malgré leur conviction que le comte Olaf rôdait, les enfants ne voyaient rien venir.C’était à n’y rien comprendre.— C’est à n’y rien comprendre, dit Violette un jour, à l’heure de la pause chewing-gum.Toujours pas trace du comte Olaf.— Pas trace, pas trace, façon de parler ! dit Klaus en se massant le pouce droit (celui qui souffrait le plus).La maison au bas de la rue est la copie conforme de son tatouage, sans parler de la jaquette de ce gros bouquin, à la bibliothèque.Mais lui, bien d’accord, c’est l’homme invisible.— Iroun, fit Prunille, pensive, ce qui signifiait, en gros : « C’est à n’y rien comprendre.»— J’y pense ! s’écria Violette avec une pichenette (et une grimace, parce que ça faisait mal).Et si M.le Directeur était le comte Olaf déguisé ? Lui aussi, c’est l’homme invisible ! Le comte pourrait très bien s’habiller en complet-veston et fumer le cigare pour brouiller les pistes.— J’y ai pensé, dit Klaus.Mais M.le Directeur est deux fois plus petit que lui, et à peine plus large.Difficile de se déguiser en quelqu’un de deux fois plus petit que soi.— Tchourk, ajouta Prunille, autrement dit : « Et sa voix n’est pas du tout celle du comte Olaf.»— Exact, reconnut Violette.Et elle tendit à Prunille un petit morceau de bois lisse ramassé spécialement pour elle.À la place du chewing-gum, ses aînés donnaient à Prunille des bouts de bois à mâchonner.Elle ne les mangeait pas, bien sûr, mais les rongeait avec ardeur comme elle l’aurait fait d’une carotte ou d’un bout de mimolette extra-vieille, toutes choses dont elle raffolait.— C’est peut-être bêtement qu’il ignore où on est, reprit Klaus.Après tout, La Falotte est un sacré trou perdu.Si ça se trouve, il va nous chercher pendant des années.— Pelti, objecta Prunille, ce qui signifiait, en gros : « Mais ça n’explique pas la maison en forme d’œil, ni la jaquette du livre.»— Tout ça n’est peut-être qu’une coïncidence, suggéra Violette.À force de penser au comte Olaf, on finit par le voir partout.Peut-être qu’il ne mettra jamais les pieds ici.Peut-être qu’on est vraiment en sûreté.— À la bonne heure ! se réjouit Phil, assis par terre auprès d’eux, comme tous les midis.Voilà comment il faut prendre les choses.Toujours voir le bon côté.Je sais bien, y a sûrement plus gai que la maison Fleurbon-Laubaine, mais au moins cet Olaf dont vous parlez tout le temps n’a pas encore pointé le bout du nez.Peut-être que vous venez d’entrer dans une grande période de chance et de bonheur.— J’admire votre optimisme, dit Klaus avec chaleur.— Moi aussi, dit Violette.— Tempa, renchérit Prunille.— À la bonne heure ! répéta Phil, et il se leva pour se dégourdir les jambes.Les enfants échangèrent des regards dubitatifs (autrement dit, « pleins de doute et de perplexité », mais dubitatif a le mérite de le dire en un seul mot).Certes, le comte Olaf n’avait pas pointé le bout de son nez, pas encore.Mais la chance et le bonheur ne pointaient guère le leur non plus ! Chaque matin, le réveil se faisait au tintamarre des casseroles et la journée se déroulait sous les aboiements de MacFool
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