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.Mais vous aviez autrefois un corps.Ce corps était doué de sensibilité.Il éprouvait des sensations.Vous vous en souvenez.Vous êtes prisonnier.Un prisonnier se souvient de toutes sortes de choses qui étaient pour lui naturelles.Vous donneriez n’importe quoi pour sentir de nouveau le vent dans vos cheveux, le goût du lait rafraîchi, ou le parfum des fleurs.Ou même la douleur d’une coupure au doigt.La salinité de votre sang quand vous léchez la coupure.N’importe quoi.Je détestais mon corps.Voyez-vous ? Je ne songeais qu’à m’en débarrasser.Mais une fois celui-ci disparu, voilà que je regrettais les sensations qu’il me procurait.Je regrettais le poids de cette chair qui s’exerçait sur moi, me clouait au sol, cette chair pleine de nerfs, cette chair à même d’éprouver du plaisir.Ou de la douleur.— Je comprends », j’ai dit, et je crois que j’étais sincère.« Mais le voyage jusqu’à Cul-de-Sac est court.Quelques semaines virtuelles et vous voilà arrivée, retirée des circuits de stockage et placée dans votre nouveau corps, et…— Quelques semaines ? Pensez à cette démangeaison sur votre nuque, capitaine.Et à l’incapacité de vous gratter dans laquelle vous vous trouvez.Combien de temps pourriez-vous supporter ça, à votre avis, cette démangeaison constante ? Cinq minutes ? Une heure ? Des semaines ? »Il me semblait qu’une démangeaison laissée sans remède devait disparaître d’elle-même, probablement au bout de quelques minutes.Mais ce n’était là qu’une impression personnelle.Je n’étais pas Vox ; je n’avais jamais été une matrice dans un circuit de stockage.« Vous vous êtes donc échappée, j’ai dit.Comment ?— Cela n’a pas été si difficile à trouver.Je n’avais rien d’autre à faire qu’à penser à ça.Vous vous alignez sur la polarité du circuit.C’est aussi une matrice, un réseau électrique qui vous retient dans un entrecroisement d’ondes.Vous changez l’alignement.C’est comme d’être ligoté et de faire glisser les cordes autour de vous jusqu’à ce que vous puissiez vous en extirper.Et alors vous pouvez aller où vous voulez.Vous vous connectez sur n’importe quel bioprocesseur à bord du vaisseau et vous y puisez l’énergie que ne vous fournit plus le circuit de stockage pour vous alimenter.Je peux me déplacer n’importe où dans ce vaisseau à la vitesse de la lumière.N’importe où.Le temps d’un clin d’œil pour vous, je suis allée partout.Jusqu’à la pointe et sur le mât dehors, et en bas, dans les ponts inférieurs, dans les quartiers d’équipage, dans les endroits réservés à la cargaison, et même un peu plus loin, dans quelque chose qui est juste à l’extérieur du vaisseau mais n’est pas tout à fait réel, si vous voyez ce que je veux dire.Quelque chose qui a simplement l’air d’une charmille d’ondes de probabilité tissée autour de nous.C’est comme d’être un fantôme.Mais ça ne résout rien.Vous comprenez ? Le supplice continue.Vous voulez éprouver des sensations, mais c’est impossible.Vous voulez que le contact soit rétabli, vous réclamez vos sens, vos sources de données.C’est pourquoi j’ai essayé de m’introduire dans ce passager, vous comprenez ? Mais il n’a pas voulu se laisser faire.»Je commençais enfin à comprendre.Quand on est en route pour les mondes des cieux à titre de colon, ce n’est pas systématiquement sous forme de matrice.En général, quiconque a les moyens d’emmener son corps avec lui ne s’en prive pas ; mais relativement rares sont ceux qui ont les moyens.Ils voyagent en animation suspendue, le plus profond des sommeils.Nous ne transportons pas de passagers éveillés dans le Service, à aucun prix.Ils ne feraient que nous gêner, à fureter ici et là , à poser des questions, à exiger d’être servis et dorlotés.Ils briseraient la paix du voyage.Alors ils s’enfoncent dans leurs cercueils, leurs compartiments, et ils dorment tout le long du voyage, tous leurs processus vitaux interrompus, morts qui ne seront rendus à la vie que lorsque nous les aurons menés à destination.Et la pauvre Vox, libérée de la prison de son circuit et avide de données sensorielles, avait tenté de se glisser dans le corps d’un passager.Je l’ai écoutée, sombre et effaré, me raconter sa terrible odyssée à travers le vaisseau.Le moment où elle était sortie du circuit : la première anomalie que j’avais perçue, ce chatouillis, ce grignotement à la lisière de ma conscience.Ses premiers instants de liberté avaient été grisants et joyeux.Puis était venue la découverte que rien n’avait vraiment changé.Elle était libre, mais toujours incorporelle, en proie à cette monstrueuse frustration qu’impliquait son insubstantialité, avide de contact.Peut-être un tel tourment était-il commun parmi les matrices ; peut-être était-ce la raison pour laquelle, de temps en temps, elles s’échappaient comme Vox l’avait fait, parcourant les vaisseaux tels des esprits inquiets.C’était ce qu’avait dit Roacher
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