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.Les adultes lui avaient fait trop de mal.Une section de tronc de chêne parut se détacher, se pencha avec raideur et un visage mince et déformé se tourna pour regarder Maura fixement.Elle faillit sauter de son siège.— Oh, bonté divine !Anna éclata de rire.La girafe sortit de l’ombre de l’arbre.Les taches jaune et noir couvrant son corps l’avaient rendue pratiquement invisible pour Maura, ce qui était plutôt surprenant pour un animal de cette taille.La girafe fit un bond en avant, sa tête aux traits finement ciselés ployant en douceur ; la gravité lunaire ne changeait apparemment rien à sa démarche élégante.Deux autres animaux suivirent le premier, un autre adulte et un jeune dont le cou lui parut gros et court comparé à celui des autres.— Des petits bousiers-robots de la Nasa viennent emporter leurs crottes pendant la nuit, dit Anna.Ils sont vraiment marrants.— Pourquoi ces girafes sont-elles ici ?Anna haussa les épaules.— Nous les avons réclamées.Quelqu’un en avait vu une dans un album.Maura regarda les girafes s’éloigner, bondissant avec aisance dans la lumière du Soleil, puis dans l’ombre du cratère.Leur corps et leur façon de bouger étaient d’une étrangeté totale, elles étaient dotées d’une structure totalement différente de celle de toutes les créatures qu’elle avait jamais vues.Un aboutissement extrême de l’évolution, songea-t-elle.Comme ces fichus gosses.Le regard aussi gris que la poussière lunaire d’Anna était grave et sérieux.— Maura, et vous, pourquoi êtes-vous ici ?— Vous méritez qu’on vous dise la vérité, dit Maura.— Oui, c’est vrai.(Anna leva les yeux vers la Terre, ronde et pleine, sa sphère légèrement déformée par le tissu du dôme.) Nous voyons parfois les lumières, sur le côté nocturne.— De quoi pensez-vous qu’il s’agit ?— De villes qui brûlent, dit Anna en haussant les épaules.Maura soupira.— As-tu étudié l’histoire, Anna ?— Oui.Les informations sont limitées, les interprétations partielles.Mais c’est intéressant.— Alors tu sais que nous avons déjà connu de telles époques.Les guerres de Religion pendant la Réforme, par exemple.Les protestants contre les catholiques.Les catholiques croyaient que leurs prêtres étaient les seuls à contrôler l’accès à la vie après la mort.Donc, quiconque tentait de nier leur pouvoir menaçait non seulement la vie, mais la vie après la mort.Et les protestants croyaient que les prêtres catholiques avaient tort, et refusaient donc à leurs partisans tout accès à la vie après la mort.Si l’on considère les choses du point de vue des différents protagonistes, faire ces guerres était logique, puisqu’ils se battaient pour la vie éternelle elle-même.— Les guerres d’aujourd’hui sont des guerres de religion ?— En un sens, oui.Mais on se bat pour le futur.L’humanité est divisée en factions qui pensent qu’elles ont le droit de contrôler son avenir – qui, pour la première fois dans l’histoire, est devenu dans nos esprits quelque chose de tangible, un atout, quelque chose pour quoi on peut lutter.Et voilà pourquoi nous nous battons.— Vous voulez dire qu’ils se battent pour les enfants.Les Enfants bleus, comme moi, et ce qu’ils pensent que nous pouvons leur apporter.— Oui.— Ils ont tort, dit Anna en s’appliquant.Ils ont tous tort.— Voici le résultat, dit Maura.Je ne sais pas exactement pendant combien de temps les gens les plus avisés vont pouvoir diriger les choses.Même aux États-Unis.Anna l’écoutait, le regard doux.— Que diriez-vous ?— Je ne sais pas, répondit honnêtement Maura.Des mois, au mieux, je crois.Ensuite, ils viendront vous chercher.— Ça suffira, dit Anna.— Pour quoi ?Anna refusa de répondre.— Vous faites peur aux gens, cracha Maura, frustrée.Bon Dieu, vous me faites peur à moi, à rester là à Tycho avec vos projets et votre science incompréhensibles.Nous avons détecté l’artefact qui se trouve dans le manteau de la Lune…Il avait été repéré par des sismomètres.C’était un morceau de matière très compressée – peut-être composée de quarks – de la taille d’une montagne.Il se trouvait exactement sous le dôme.Nul ne savait comment il était arrivé là , ni à quoi il servait.Maura jeta un regard noir à Anna.— Avons-nous raison d’avoir peur ?— Oui, dit Anna avec gentillesse, et Maura se sentit glacée de terreur.— Pourquoi ne nous dites-vous pas ce que vous êtes en train de faire ?— Nous essayons.Nous vous disons ce que vous êtes capables de comprendre.— Allons-nous pouvoir vous arrêter ?Anna tendit la main, prit celle de Maura et la serra.La peau de la jeune fille était douce et tiède.— Je suis désolée.Et puis, sans prévenir, Anna se pencha en avant, tomba de l’arbre et écarta ses ailes.Elle s’éleva dans le ciel, passant devant la face convulsée de la Terre avant de sortir du champ de vision de Maura.Lorsqu’elle revint au bus, Bill l’attendait.Comme si ça ne l’intéressait pas.Mais, pendant que le véhicule progressait avec peine en direction de la base de la Nasa, il demeura suspendu aux lèvres de Maura tandis qu’elle parlait des conditions de vie à l’intérieur du dôme, des enfants, et de ce qu’elle avait entrevu de Tom et de la petite Billie.Le Soleil s’était couché au-delà des parois de Tycho, mais les murs étaient éclairés par l’étrange lumière bleue de la Terre.Le Soleil allait s’attarder juste au-dessus de l’horizon sculpté pendant une journée entière, tant le jour lunaire était long.Faute d’air, il n’y avait pas de couleurs de coucher de Soleil, mais on voyait néanmoins une lueur à l’horizon, de pâles rayons blancs assez intenses pour éclipser les étoiles : la lumière dégagée par l’atmosphère du Soleil, et la lumière zodiacale, le miroitement de la poussière et des débris situés sur le plan de l’écliptique.Un éclairage calme, immuable, austère, d’une insupportable immobilité, un véritable glacier lumineux.Elle s’aperçut que Bill Tybee pleurait.Il la laissa le serrer dans ses bras, comme une mère avec son enfant.Cette touche de chaleur humaine dans l’immense froid immobile de la Lune avait quelque chose d’immensément réconfortant.Reid MalenfantLa radio de son scaphandre était conçue pour fonctionner sur de courtes distances.Il écouta néanmoins toutes les fréquences.Rien.Mais ça ne signifiait pas grand-chose.Il ne pouvait pas entendre quelqu’un d’autre, mais peut-être que les autres pouvaient l’entendre, lui
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