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.On en parlerait, on l’approuverait, on le féliciterait.Il répétait à voix haute, parlant comme on parle dans les grands troubles de pensée :– Quelle brute que cet homme !Puis il s’assit et il se mit à réfléchir.Il lui fallait, dès le matin, trouver des témoins.Qui choisirait-il ? Il cherchait les gens les plus posés et les plus célèbres de sa connaissance.Il prit enfin le marquis de La Tour-Noire et le colonel Bourdin, un grand seigneur et un soldat, c’était fort bien.Leurs noms porteraient dans les journaux.Il s’aperçut qu’il avait soif et il but, coup sur coup, trois verres d’eau ; puis il se remit à marcher.Il se sentait plein d’énergie.En se montrant crâne, résolu à tout, et en exigeant des conditions rigoureuses, dangereuses, en réclamant un duel sérieux, très sérieux, terrible, son adversaire reculerait probablement et ferait des excuses.Il reprit la carte qu’il avait tirée de sa poche et jetée sur sa table et il la relut comme il l’avait déjà lue, au café, d’un coup d’œil et, dans le fiacre, à la lueur de chaque bec de gaz ; en revenant.« Georges Lamil, 51, rue Moncey.» Rien de plus.Il examinait ces lettres assemblées qui lui paraissaient mystérieuses, pleines de sens confus : Georges Lamil ? Qui était cet homme ? Que faisait-il ? Pourquoi avait-il regardé cette femme d’une pareille façon ? N’était-ce pas révoltant qu’un étranger, un inconnu vînt troubler ainsi votre vie, tout d’un coup, parce qu’il lui avait plu de fixer insolemment les yeux sur une femme ? Et le vicomte répéta encore une fois, à haute voix :– Quelle brute !Puis il demeura immobile, debout, songeant, le regard toujours planté sur la carte.Une colère s’éveillait en lui contre ce morceau de papier, une colère haineuse où se mêlait un étrange sentiment de malaise.C’était stupide, cette histoire-là ! Il prit un canif ouvert sous sa main et le piqua au milieu du nom imprimé, comme s’il eût poignardé quelqu’un.Donc il fallait se battre ! Choisirait-il l’épée ou le pistolet, car il se considérait bien comme l’insulté.Avec l’épée, il risquait moins ; mais avec le pistolet il avait chance de faire reculer son adversaire.Il est bien rare qu’un duel à l’épée soit mortel, une prudence réciproque empêchant les combattants de se tenir en garde assez près l’un de l’autre pour qu’une pointe entre profondément.Avec le pistolet il risquait sa vie sérieusement ; mais il pouvait aussi se tirer d’affaire avec tous les honneurs de la situation et sans arriver à une rencontre.Il prononça :– Il faut être ferme.Il aura peur.Le son de sa voix le fit tressaillir et il regarda autour de lui.Il se sentait fort nerveux.Il but encore un verre d’eau, puis commença à se dévêtir pour se coucher.Dès qu’il fut au lit, il souffla sa lumière et ferma les yeux.Il pensait :J’ai toute la journée de demain pour m’occuper de mes affaires.Dormons d’abord afin d’être calme.Il avait très chaud dans ses draps, mais il ne pouvait parvenir à s’assoupir.Il se tournait et se retournait, demeurait cinq minutes sur le dos, puis se plaçait sur le côté gauche, puis se roulait sur le côté droit.Il avait encore soif.Il se releva pour boire.Puis une inquiétude le saisit :– Est-ce que j’aurais peur ?Pourquoi son cœur se mettait-il à battre follement à chaque bruit connu de sa chambre ? Quand la pendule allait sonner, le petit grincement du ressort qui se dresse lui faisait faire un sursaut ; et il lui fallait ouvrir la bouche pour respirer ensuite pendant quelques secondes, tant il demeurait oppressé.Il se mit à raisonner avec lui-même sur la possibilité de cette chose :– Aurais-je peur ?Non certes, il n’aurait pas peur, puisqu’il était résolu à aller jusqu’au bout, puisqu’il avait cette volonté bien arrêtée de se battre, de ne pas trembler.Mais il se sentait si profondément troublé qu’il se demanda :– Peut-on avoir peur, malgré soi ?Et ce doute l’envahit, cette inquiétude, cette épouvante ; si une force plus puissante que sa volonté, dominatrice, irrésistible, le domptait, qu’arriverait-il ? Oui, que pouvait-il arriver ? Certes, il irait sur le terrain, puisqu’il voulait y aller.Mais s’il tremblait ? Mais s’il perdait connaissance ? Et il songea à sa situation, à sa réputation, à son nom.Et un singulier besoin le prit tout à coup de se relever pour se regarder dans la glace.Il ralluma sa bougie.Quand il aperçut son visage reflété dans le verre poli, il se reconnut à peine, et il lui sembla qu’il ne s’était jamais vu.Ses yeux lui parurent énormes ; et il était pâle, certes, il était pâle, très pâle.Il restait debout en face du miroir.Il tira la langue comme pour constater l’état de sa santé, et tout d’un coup cette pensée entra en lui à la façon d’une balle :– Après-demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort.Et son cœur se remit à battre furieusement.– Après demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort.Cette personne en face de moi, ce moi que je vois dans cette glace, ne sera plus.Comment ! me voici, je me regarde, je me sens vivre, et dans vingt-quatre heures je serai couché dans ce lit, mort, les yeux fermés, froid, inanimé, disparu.Il se retourna vers la couche et il se vit distinctement étendu sur le dos dans ces mêmes draps qu’il venait de quitter.Il avait ce visage creux qu’ont les morts et cette mollesse des mains qui ne remueront plus.Alors il eut peur de son lit et, pour ne plus le regarder il passa dans son fumoir.Il prit machinalement un cigare, l’alluma et se remit à marcher.Il avait froid ; il alla vers la sonnette pour réveiller son valet de chambre ; mais il s’arrêta, la main levée vers le cordon :– Cet homme va s’apercevoir que j’ai peur.Et il ne sonna pas, il fit du feu.Ses mains tremblaient un peu, d’un frémissement nerveux, quand elles touchaient les objets.Sa tête s’égarait ; ses pensées troubles, devenaient fuyantes, brusques, douloureuses ; une ivresse envahissait son esprit comme s’il eût bu.Et sans cesse il se demandait :– Que vais-je faire ? Que vais-je devenir ?Tout son corps vibrait, parcouru de tressaillements saccadés ; il se releva et, s’approchant de la fenêtre, ouvrit les rideaux.Le jour venait, un jour d’été.Le ciel rose faisait rose la ville, les toits et les murs.Une grande tombée de lumière tendue, pareille à une caresse du soleil levant, enveloppait le monde réveillé ; et, avec cette lueur, un espoir gai, rapide, brutal, envahit le cœur du vicomte ! Était-il fou de s’être laissé ainsi terrasser par la crainte, avant même que rien fût décidé, avant que ses témoins eussent vu ceux de ce Georges Lamil, avant qu’il sût encore s’il allait seulement se battre ?Il fit sa toilette, s’habilla et sortit d’un pas ferme [ Pobierz całość w formacie PDF ]